Le chant des partisans

Hist-ou-art n°2

Le chant des partisans, 1941, Anna Marly (Ксения Xenia)

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux 
Sur nos plaines ? 
Ami, entends-tu ces cris sourds du pays 
Qu’on enchaîne ? 
Ohé ! partisans, ouvriers et paysans, 
C’est l’alarme. 
Ce soir, l’ennemi connaîtra le prix du sang 
Et des larmes.

Montez dans la mine 
Descendez des collines, Camarades. 
…Sortez de la paille 
Les fusils, la mitraille, 
Les grenades. 
Ohé ! les tueurs, 
A la balle et au couteau, 
Tuez vite. 
Ohé ! saboteur, 
Attention à ton fardeau 
Dynamite…

C’est nous qui brisons 
Les barreaux des prisons 
Pour nos frères. 
La haine à nos trousses 
Et la faim qui nous pousse. 
La misère. 
Il y a des pays 
Où les gens au creux des lits 
Font des rêves. 
Ici, nous, vois-tu, 
Nous on marche et nous on tue 
Nous on crève…

Ici, chacun sait 
Ce qu’il veut, ce qu’il fait 
Quand il passe. 
Ami, si tu tombes, 
Un ami sort de l’ombre 
A ta place. 
Demain du sang noir 
Séchera au grand soleil 
Sur les routes. 
Chantez, compagnons, 
Dans la nuit la liberté 
Nous écoute…Ami, entends-tu ces cris sourds du pays 
Qu’on enchaîne ? 
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux 
Sur nos plaines ? 

L’Artiste

Anna Iourievna Betoulinskaïa ou Anna Betoulinskaïa est née le 30 octobre 1917 à Saint-Pétersbourg. Dans ce contexte très particulier et extrêmement violent des révolutions russes de 1917 (en février puis en octobre) les familles nobles russes, les Russes Blancs sont tués ou forcés à l’exil. La famille Betouline (ou Betoulin) est une famille aristocratique, cousine éloignée de la famille Romanov dirigeante. La famille de la mère d’Anna, les Alferaki, est une famille russo grecque établie depuis près d’une décennie dans le Caucase. Anna passe donc sa première année en Russie, en pleine guerre civile entre les Blancs et les Rouges. L’Armée Blanche est en réalité composée de nombreux mouvements et groupes armés luttant contre le pouvoir établi en 1917 sous la bannière bolchevique. Leurs buts sont de contrer les Révolutions de 1917 et de rétablir l’Empire Russe. Au contraire, l’Armée Rouge est une armée unifiée, dont les principes sont la préservation des valeurs de la Révolution d’Octobre, la protection du nouveau régime bolchevik et la destruction de l’ennemi impérialiste. Yuri Betoulinsky, le père d’Anna est arrêté puis exécuté par des soldats de l’Armée Rouge en 1918, Anna n’a pas encore un an.

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Anna Marly

En 1920, sa mère décide de partir pour la France, accompagnée de sa fille et de sa nourrice. En fuyant par la frontière finlandaise, Anna Marly arrive à Paris puis Menton. À l’âge de 13, Anna va recevoir, de la part de sa nourrice, une guitare, dont elle ne se séparera jamais. Elle commence ensuite à travailler comme danseuse dans des clubs de Monaco. Elle se rend alors compte que son nom, Betoulinskaïa ou Bétouline donne du fil à retordre aux francophones. Elle choisit donc au hasard dans un annuaire le nom d’Anna Marly. À 16 ans, elle rejoint les Ballets russes de Monte-Carlo. Les Ballets russes de Paris ont fermé en 1929, néanmoins, les artistes tels que Stravinsky, Debussy, Cocteau ou encore Picasso (pour ne citer qu’eux) ont fréquenté ces Ballets. Prokofiev, lui aussi ancien membre des Ballets Russes de Paris, donne des conseils à Anna Marly à Monte-Carlo et lui apprend les bases de la composition. Anna rejoint les ballets Wronska, où elle devient danseuse étoile. Elle se rend ensuite à Paris où elle poursuit sa carrière de danseuse dans des cabarets, comme le Shéhérazade. Elle commence aussi à faire de la chanson un métier dans ces mêmes cabarets. 

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Carte de FFL d’Anna Marly

Anna poursuit dans cette voie jusqu’au début de la Campagne de France. Cet épisode de la Seconde Guerre mondiale va marquer Anna, alors âgée de 22 ans. Après la défaite française, Anna Marly fuit la France par l’Espagne et le Portugal. Le gouvernement néerlandais en exil à Londres fait appel au mari d’Anna. Le couple part donc pour l’Angleterre en 1941. Arrivée à Londres, Anna rejoint les Forces Françaises Libres (FFL) en tant que cantinière. Elle participe parfois à l’émission diffusée par la BBC, « Les Français parlent aux Français », comme chanteuse. En 1942, elle compose Le chant des partisans, puis La complainte du partisan, popularisée plus tard par Léonard Cohen. Anna Marly entre ensuite l’Entertainment National Service Association (ENSA), une organisation de divertissement créée pendant la guerre afin de divertir les soldats à l’aide de films, d’émissions radio et de spectacles. À la fin de la guerre, Anna Marly est célèbre, notamment pour l’écriture du Chant des Partisans. Elle retourne en France à la Libération. Quelques mois plus tard, Anna divorce de son mari néerlandais et se remarie rapidement avec un émigré russe blanc. Elle voyage ensuite beaucoup, notamment en Afrique et en Amérique du Sud. En 1965 elle est décorée de l’ordre national du mérite et en 1985, nommée Chevalier de la légion d’Honneur. Anna Marly s’installe aux États-Unis. Son mari est alors professeur en Pennsylvanie et ils habitent à New-York. Après la mort de son mari, Anna Marly déménage en Alaska, où elle décède en 2006. 

Le contexte historique et artistique

En 1939, la Seconde Guerre mondiale débute avec l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht (l’armée allemande). En France, les soldats mobilisés patientent à la frontière. Ils attendent l’offensive ennemie, c’est la drôle de guerre. Du 10 mai au 17 juin 1940, l’Allemagne nazie parvient à défaire la France. La Blitzkrieg, la guerre éclair, malgré l’utilisation coûteuse de matériels militaires et d’essence, lui assure une victoire rapide en France et au Benelux. 8 millions d’habitants du Nord et de l’Est de la France fuient en masse vers le sud, c’est l’exode. Les forces allemandes entrent à Paris le 14 juin. L’arrêt des combats est promulgué dans un discours radiodiffusé du Maréchal Philippe Pétain, devenu Président du Conseil, le 17 juin 1940. 100 000 Français ont été tués, deux fois plus ont été blessés et près de 2 millions sont capturés par l’armée allemande. Le lendemain, le général De Gaulle lance depuis Londres un appel à la Résistance.

Carte de la France sous l’Occupation (1940-1944)

Le 21 juin, Hitler et le représentant du dernier gouvernement de la Troisième République française, le général Huntziger signent un armistice. Cet armistice est une violation d’un précédent traité signé entre la République et les Alliés, qui interdit toute forme de traité de paix séparée avec l’ennemi. Cet armistice prévoit entre autres la division de la France en différentes zones. La Zone Nord (ou Zone Occupée avant 1942) est occupée par l’Armée allemande dès 1940 et administrée par des administrations allemandes. La Zone Sud (ou Zone Libre avant 1942) est d’abord administrée par le Régime de Vichy et gérée par l’armée française puis à son tour, en 1942, occupée par l’Allemagne. Le Nord de la France est administré par l’administration militaire de Bruxelles. L’Alsace-Moselle est annexée par le Troisième Reich. Les zones atlantiques et la frontière entre la France et l’Italie sont démilitarisées et interdites. L’Italie occupe des territoires au sud-est de la France. Le 10 juillet, le Parlement français vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, la Troisième République prend fin. L’État Français est donc souverain en zone libre. Dès le 24 octobre, le régime de Vichy s’engage dans une politique collaborationniste vis-à-vis de l’Allemagne lors de l’entrevue de Montoire. Pétain initie la déportation des Juifs en France, combat les Forces Françaises Libres (Résistance extérieure) et lutte contre les différents mouvements de Résistance intérieure.

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(De gauche à droite) Philippe Pétain, Paul-Otto Schmidt, Adolf Hitler et Joachim von Ribbentrop lors de l’entrevue de Montoire, le 24 octobre 1940

L’histoire de l’œuvre

Entre le 8 juillet et le 10 septembre (selon les sources), la Wehrmacht lance une offensive victorieuse sur Smolensk, défendue par l’URSS. Bien que défaite, l’Armée Rouge a pour la première fois depuis le début de l’opération Barbarossa (plan d’invasion de l’URSS par l’Allemagne en 1941), organisé une défense et une contre-attaque selon une stratégie militaire moderne. Les soldats soviétiques permettent de retarder l’avancée allemande vers Moscou, afin de préparer la défense de la ville et de faire venir de l’Est, les divisions sibériennes. Malgré de relatives réussites, les pertes soviétiques sont immenses. Environ 180 000 soldats tués, 270 000 blessés et autant capturés. Les prisonniers de guerres furent déportés dans des camps de concentration aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Pologne, exécutés sur-le-champ ou enfermés sur place condamnés à mourir de faim. C’est inspiré par cet évènement tragique qu’Anna Marly siffle un air, celui qui deviendra celui de l’hymne de la Résistance. Un soir, à Londres, Anna Marly gratte sa guitare au rythme des pas des prisonniers. Sifflant d’abord, puis chantant des paroles en russe, Anna vient de créer Le chant des partisans.

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Affiche de l’émission Honneur et Patrie (1943)

Quelques semaines plus tard, le chant est radiodiffusé. En entendant cette chanson, Joseph Kessel et Maurice Druon proposent à Anna Marly de chanter en Français. Anna prépare donc une rapide traduction. Mais au moment de présenter son travail, Joseph Kessel lui tend sa propre traduction. Anna Marly chante donc les paroles de Kessel et Druon, elles collent parfaitement à la mélodie. Le chant est donc régulièrement radiodiffusé par Radio Londres dans l’émission Honneur et Patrie, dont il devient l’indicatif le 17 mai 1943. Le chant des partisans devient dès lors l’hymne de la Résistance. Il est connu jusqu’en Russie, où des soldats et résistants soviétiques le chantent avant leur exécution. L’œuvre est reprise par de nombreuses célébrités notamment Joséphine Baker et Yves Montand, mais aussi par les Chœurs de l’Armée Rouge. L’œuvre est chantée par Anna Marly et accompagnée par les Chœurs de l’armée française le 17 juin 2000, à la veille des soixante ans de l’appel du Général De Gaulle. 

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Affiche du chant des partisans, Raoul Breton (1944)

Analyse de l’œuvre : Être Résistant en France

Dans cette partie, je ne vais pas décrire et étudier Le chant des partisans dans sa globalité mais sélectionner un point historique important et l’expliquer en le mettant en relation avec l’œuvre, ici, l’action résistante. 

Tout d’abord, qu’est-ce que la Résistance ?  

La Résistance, c’est l’addition d’actes individuels de refus de la Défaite et de ses conséquences (Armistice, Occupation, collaboration) motivés par le patriotisme et l’antigermanisme qui s’est organisé en mouvement et en réseaux et dont les activités variées comprennent la lutte contre l’information de Vichy, l’exfiltration des Juifs ou d’autres personnes en danger imminent, le sabotage, le renseignement, l’attaque directe d’Allemands.

La Résistance débute symboliquement avec l’appel de De Gaulle depuis Londres le 18 juin 1940. Cependant, dans Le chant des partisans, les paroles nous en disent plus sur l’action concrète de la Résistance intérieure. En réalité, les premiers mouvements de Résistance se créent spontanément quelques heures avant l’appel de De Gaulle. En effet, dès le 17 juin, certains officiers de l’Armée française refusent d’obéir aux ordres de Pétain. Le général de brigade Gabriel Cochet ordonne à ses hommes de continuer les combats, malgré sa fidélité au Maréchal. Ses motivations ne sont pas politiques mais c’est le patriotisme et sa volonté de défendre le territoire français qui le pousse à la désobéissance. 

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Affiche de recrutement des FFI

En 1940, se mettent en place quelques réseaux désorganisés de Résistance, principalement en Zone Occupée. Le Réseau du Musée de l’Homme par exemple publie dès août 1940, des tracts et un journal clandestin, Résistance. Libération-Nord commence aussi à s’organiser et publier son propre journal en décembre 1940. Le mouvement France Liberté, renommé Franc-Tireur, opère en Zone-Sud, publiant un journal éponyme critique ouvertement le Régime de Vichy. Différents mouvements, peu organisés au départ, donnent des renseignements aux Britanniques, publient des journaux et des tracts et aident les parachutés alliés. Les Résistants ont peu de moyens et ils risquent souvent jusqu’à leur vie. En juin 1941, Hitler attaque l’URSS. Dès lors, les communistes réagissent en France. Ils s’organisent rapidement et ont beaucoup plus de moyens. Les partis communistes locaux regroupent des membres rapidement et possèdent une structure déjà établie et efficace. Ils s’associent souvent à des syndicats d’avant-guerre. Les mouvements Francs-Tireurs-Partisans (FTP) ou Le Front National regroupent des résistants communistes. À la fin de l’année 1941, plus de 20 000 personnes font partie de la Résistance intérieure, dont de nombreux Juifs, étrangers et communistes. Comme nous l’apprend Le chant des partisans, la France est occupée. Il s’agit du « pays qu’on enchaîne ». Les « corbeaux » sont les soldats allemands et les SS (portant un uniforme noir), représentés comme des rapaces. Le chant s’adresse aux « partisans, ouvriers et paysans » cependant les paysans ne représentent que 10% des résistants. La plupart des mouvements de Résistance s’organisent autour de figures intellectuelles ou militaires d’avant-guerre, comme Emmanuel d’Astier de La Vigerie, qui crée le mouvement Libération-Sud. Le chant des partisans démontre que les risques pris par les Résistants peuvent les conduire à la mort. Si les chiffres sont assez flous, il y aurait eu environ 300 000 Résistants, dont 70 000 morts au combat, déportés ou exécutés sommairement, principalement les communistes et Juifs. Le chant explique aussi l’ampleur des actions de Résistance. Du sabotage de lignes de trains à la dynamite à l’usage d’attentats sur des soldats allemands. De missions d’exfiltration d’autres Résistants et des Juifs aux combats de la Libération (pas en 1941 mais très tôt en 1944). On peut aussi comprendre la vie de Résistant comme une vie clandestine, traqué par la Wehrmacht, la SS, la police et gendarmerie française ou encore la milice française. La milice est une organisation française créée en 1943 par Joseph Darnand afin d’aider la Gestapo dans la lutte contre la Résistance. Le chant des partisans est accompagné d’un grattement à la guitare qui symbolise le bruit des pas des soldats mais aussi celui d’un condamné avant son exécution. Dans cette chanson, les motivations données sont la liberté et la lutte contre l’Occupant, il en existe d’autres. Dans les mouvements communistes, il y a aussi l’idée d’accomplir la révolution prolétarienne au sortir de la guerre et de construire une France socialiste. La plupart des mouvements luttant contre le Régime de Vichy accusent non seulement le collaborationnisme mais aussi le programme politique de l’État français, la Révolution Nationale.

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Carte d’identité FFI

La Résistance est donc à la fois unie dans son mode d’action et son but à moyen terme. Il n’en demeure pas moins que parmi les nombreux mouvements de Résistance, il existe autant de tendances politiques et de nuances dans les motivations et les modes d’organisation. Il existe des rivalités entre certains mouvements et certains réseaux ne reconnaissent même pas De Gaulle comme chef de la France Libre ou encore supporte le Maréchal Pétain. Il s’agit du paradoxe français. 

Note : 4.5 sur 5.

Pour le débat de l’article: Pensez-vous que la Résistance est été un moyen efficace et légitime de lutte contre l’Occupation ?

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