Cette opinion très populaire est tout de même à largement nuancer. En effet, si son récit des guerres médiques est tout à fait plausible, ce n’est pas le cas de son prologue dans lequel il explique le développement du monde Grec, des Phéniciens et de la Troade (la région de Troie) par l’enlèvement de personnages d’origine divine. Certes, il n’est pas rare de proclamer avoir des ascendances divines chez les Grecs ou même plus tard chez les Romains, on ne peut pas s’appuyer sur de la mythologie pour déceler la vérité, en tout cas, on ne peut pas dire que l’analyse d’Hérodote soit purement historique. Par ailleurs, il a un regard biaisé sur les peuples puisqu’il les stigmatise en fonction de son propre regard de voyageur dans un pays étranger. De plus, Hérodote en tant que géographe a décrit un monde limité aux frontières de l’Europe méditerranéenne, de l’Afrique du Nord, l’Asie Mineure, le Proche-Orient et la vallée de l’Indus. Peut-on réellement penser qu’Hérodote soit vraiment un historien ? La réponse pourrait vous étonner mais oui. Oui, Hérodote est un historien. Son oeuvre est limitée par les connaissances géographiques et historiques de l’époque et baignée dans la culture et la mythologie du monde Grec mais il utilise un raisonnement logique appuyé certes sur des connaissances personnelles ou populaires mais il ne peut pas faire mieux. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, l’Histoire est un Art donc inspiré par une divinité, la muse Clio. Il parvient aujourd’hui à nous transmettre un savoir cohérent en se détachant (partiellement) du rapport entre l’Histoire et le sacré.

Cependant admettons qu’Hérodote soit un vrai historien, est-il le premier ? Le vrai problème quand à la volonté de trouver le premier, c’est qu’on ne peut pas être sûr. Hérodote est certainement le premier historien dont nous avons les écrits encore aujourd’hui. Il se peut que d’autres historiens n’aient jamais rédigé leurs études ou bien que ces études ne soient jamais parvenues jusqu’à nous.

Homère (VIIIe siècle av. J.C.), une Histoire pas comme les autres.

Nous nous retrouvons donc avec Hérodote, « Père de l’Histoire » (d’après Cicéron) qui nous livre le premier témoignage/ouvrage d’Histoire. Bon, très bien. Mais faut-il être historien pour parler d’Histoire et même pour créer un ouvrage d’Histoire ? Non. Bien sûr que non. D’ailleurs le mot historien ne veut rien dire de plus que « celui, celle qui se consacre à l’histoire, qui raconte, analyse des faits, des aspects du passé, rédige des ouvrages d’histoire, enseigne cette discipline » (CNRTL). Si l’on prend uniquement la version la moins restrictive de cette définition, un historien peut être une personne qui « raconte […] des aspects du passé« . Certes, aujourd’hui, être historien veut bien dire être un expert en Histoire (ex: professeur·e). Mais dans l’Antiquité, un poète racontant une histoire passée est un historien, je pense ici bien-entendu à l’aède Homère. Il a rédigé et chanté une série d’épopées au VIIIe siècle av. J.C., parmi lesquelles l’Iliade et l’Odyssée (les deux dont nous avons la trace écrite). L’Iliade est le récit de la guerre de Troie et l’Odyssée celui du retour d’Ulysse à Ithaque.

Un problème se pose tout de même: les évènements de la guerre de Troie sont-ils réels ? Encore une fois, les évènements plausibles sont liés aux dieux grecs et à une vaste mythologie grecque. Mais je le répète, pour l’époque, ce n’est pas un problème, au contraire, c’est une preuve que les muses ont inspirés Homère. La guerre de Troie opposerait donc les Achéens (les Grecs) aux Troyens (peuple thraco-illyrien implanté en Asie mineure, actuelle Turquie). D’après le savant grec Érastothène (276 – 194 av. J.C.), elle aurait eu lieu au XIIe siècle av. J.C. Cependant, depuis la découverte de la ville de Troie par Heinrich Schlimann (1822-1890) en 1870, la date de cette guerre a été revue à la hausse. D’après l’historienne Claude Mossé (1924), la guerre de Troie ne serait pas une guerre mais l’agglomération de batailles mineures. Donc Homère raconte bien un évènement passé mais il n’utilise pas le raisonnement scientifique et n’a aucune certitude quand aux évènements passés contrairement à Hérodote qui nait seulement un an après la fin des guerres médiques.

D’un côté un aède brillant, de l’autre un scientifique rigoureux, qui des deux est le premier historien ? La réponse à cette question dépend finalement de la définition de ce qu’est un historien et de celle de l’Histoire. Peut-on parler d’Histoire alors même que le passé que l’on étudie est faux ? D’après moi, Homère est dans un sens un historien puisqu’il raconte des faits passés. Ces faits sont au regard de l’auteur réels même s’il sont pas véridiques. Le travail d’Homère est celui d’un historien mais l’Histoire qu’il étudie n’est pas vérifiée et prend source dans un mythe.