La Joconde

Hist-ou-art n°1

La Joconde, Leonard de Vinci, environ 1505

Ah ! La Joconde ! Oeuvre d’art mondialement connue et au sourire mystérieux, au regard qui nous suit et aux teintes embrumées. La Gioconda est aussi la pièce maîtresse de son peintre, Léonard de Vinci, ingénieur de son temps, génie de tous. Lorsqu’il peint Mona Lisa il ne se doute probablement pas que sa toile sera admirée par des des millions de visiteurs chaque année. Quoique ?

L’Artiste

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Autoportrait, Léonard de Vinci (1515)

On ne le présente même plus, Léonard de Vinci (1452-1519) est l’homme responsable de La Joconde. Cet individu, en plus d’être un peintre plus que brillant, a de nombreux atouts dans sa poche. Mais avant cela, laissez-moi vous présenter sa vie en quelques lignes. Leonardo naquit en 1452 dans le petit village de Vinci de la riche République de Florence. Cette République était à la naissance de Léonard sous l’influence d’une puissante famille italienne, les Médicis. Sous leur contrôle, Florence va attirer et former des artistes jusqu’à devenir le centre de la Renaissance italienne avec le long courant de la Renaissance florentine (florentine est – bien sûr – l’adjectif lié à Florence). Revenons à Léonard. Il apprend à lire et écrire mais n’est pas formé au latin. Le jeune homme, bien qu’il vive à Vinci, passe beaucoup de temps à Florence. Il y découvre la vie d’artiste et rencontre un sculpteur florentin, Andrea del Verrocchio. Il devient son apprenti et apprend la peinture, la sculpture mais aussi la chimie, la mécanique et bien d’autres arts (ici le mot art prend son sens originel d’artisanat). Léonard quitte son maître et travaille pour Laurent de Médicis – dit le Magnifique – maître de Florence. Remarqué pour son talent, Léonard est envoyé à Milan pour être sous le service de Ludovic Sforza, duc de Milan. Après l’invasion de la Lombardie par la France en 1499, Léonard quitte Milan pour la République de Venise, où il sert de stratège contre l’Empire Ottoman. En 1503, il retourne à Florence, où il prépare le détournement du fleuve florentin, l’Arno. En 1504, il part à nouveau pour Milan, où il rejoint Sforza et peint La Joconde. En 1513, il va à Rome travailler pour le fils de Laurent de Médicis, Julien. Il prépare l’assèchement des marais pontins près de Rome. Ce projet n’aboutira pas avant l’avènement de la dictature fasciste de Mussolini en 1928. Mais revenons à nos… moutons, en 1515, le roi de France (depuis 9 mois seulement) conquis Milan après la bataille bien connue de Marignan. Léonard de Vinci passe les dernières années de sa vie à Amboise et s’éteint en 1519 à 67 ans.

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Clos Lucé: la demeure de Léonard de Vinci à Amboise, photographie de Thesupermat (2016)

Léonard de Vinci, s’il est connu pour son talent de peintre, n’est pas moins doué en sculpture, architecture, musique, écriture, orfèvrerie mais c’est aussi un brillant biologiste, anatomiste, géologue, mathématicien et ingénieur. Il développe la technique du sfumato, une technique de peinture afin de rendre une impression de brume, de flou. Il peint la fresque La Cène, invente des machines volantes, un char d’assaut blindé. Un vrai génie ! Par ailleurs, il s’inscrit dans le courant de l’Humanisme, il veut se rapprocher de la culture gréco-romaine et s’épanouir dans son rapport à la culture. Il est aussi végétarien et tente de prouver que l’Homme est au-dessus des autres animaux par sa compassion dans son Code de l’anatomie, qu’il écrit comme la plupart de ses textes en écriture spéculaire (comme dans un miroir). Pourquoi cela ? Parce qu’il est gaucher tout simplement. Et il n’a pas le temps que l’encre sèche, il préfère donc apprendre à écrire à l’envers. Pourquoi pas ? Après tout s’il n’a pas le temps… Donc ce petit villageois de Vinci est l’homme derrière le chef d’oeuvre.

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La Cène, Léonard de Vinci (1498)

Le contexte historique et artistique

La Joconde comme nous l’avons dit plus tôt a été peinte entre 1503 et 1505 en Lombardie. C’est donc en pleine période de Renaissance que se déroule sa création. En 1505, c’est le début du Cinquecento (1501-1600), la Haute-Renaissance. Cette période marque la fin du Moyen-Age avec en 1453, la prise de Constantinople par l’Empire Ottoman et la découverte du Nouveau Monde en 1492 par Christophe Colomb. À cette époque, les artistes – d’abord italiens puis dans toute l’Europe – restaurent une certaine idée de l’Antiquité – principalement gréco-romaine. Ils mettent au coeur de leurs idées, la philosophie aristotélique, la vision antique de la science, comme rationnelle et supérieure à l’Église mais qui cohabite avec elle (dans un premier temps). Les arts sont aussi formatés en accordante avec la vision contemporaine de l’Antiquité. Je m’explique. À l’époque, les statues antiques sont retrouvées blanches, soient parce qu’elles ne sont que des copies en plâtre, soit parce qu’avec le temps, la pigmentation s’est dégradée. Les artistes de la Renaissance se sont donc mis à sculpter des statues blanches. Elles symboliseraient la pureté et la beauté selon le modèle gréco-romain (comme le nombre d’or par exemple). Mais, il s’avère que les statues étaient presque toujours peintes dans l’Antiquité… À la Renaissance, vient aussi l’idée de créer un réel contraste à la fois politique mais aussi idéologique avec la Renaissance. C’est à cette époque (fin du XIVe siècle – fin du XVIIe siècle) qu’ont lieu les chasses aux sorcières. On commence alors à nommer l’épidémie de peste du XIVe siècle, la Peste Noire pour symboliser l’époque sombre du passé, s’opposant à l’illumination de la Renaissance. Avec l’invention de l’imprimerie par Johannes Gutenberg en 1440, des connaissances puis de nouvelles idées se popularisent et font le tour de l’Europe, parmi elles l’Humanisme. Ce mouvement est central à la Renaissance, puisqu’il se rapproche à la fois d’une vision quasi-uniquement philosophique et positive de l’Antiquité mais place aussi les valeurs humaines au-dessus des valeurs chrétiennes. Nicolas Machiavel – que rencontre Léonard de Vinci – alors espion pour la famille Médicis à Florence, rédige un ouvrage, Le Prince (1532) où il explique comment devrait un dirigeant doit agir pour garder le contrôle sur une ville et sa population. Il démontre que seul le pragmatisme libéré des contraintes morales peut accomplir pleinement cette tâche. Il s’inspire de la vie politique italienne et du jeu des pouvoirs familiaux afin de rendre compte de sa vision machiavélique du pouvoir.

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Portrait de Nicolas Machiavel, Tito (fin du XVIe siècle)

D’un point de vue géopolitique, la Renaissance c’est aussi la refonte d’un équilibre européen. La chute de l’Empire Byzantin en 1453 met un terme à la domination de la Chrétienté en Orient. En revanche l’Empire Ottoman (turc), lui, s’étend jusqu’à Vienne (assiégée en 1529). Après la découverte du Nouveau Monde (plus tard dénommée Amériques), de nouveaux Empires se créent. Le royaume d’Espagne unifié à la fin de la Reconquista de Philippe II domine l’Atlantique et la Méditerranée avec le contrôle des royaumes de Naples et de Sicile et de Sardaigne, et établit des colonies en Amérique du Sud, Centrale et le Sud des actuels États-Unis. Le royaume du Portugal parvient a concurrencer la couronne d’Espagne en établissant une colonie au Brésil et des comptoirs sur les côtes africaines et indiennes. En revanche, le début du XVIe siècle est marqué par de nombreuses guerres en Italie, où tentent de s’implanter les royaumes d’Espagne, de France et dans une moindre mesure le Saint-Empire-Romain-Germanique et l’Empire Ottoman, tandis que les pouvoirs italiens tentent de préserver leurs territoires, notamment la République de Venise, les États pontificaux et le Duché de Milan. Ces Premières guerres italiennes (1494-1516) dont les Français ne retiennent que « 1515 Marignan » touchent durablement la situation italienne. Par exemple, la famille Sforza n’est plus dirigeante de la Lombardie, c’est l’une des raisons pour laquelle Léonard de Vinci est forcé de partir en France. François I, roi de France, embrase la culture humaniste de la Renaissance et fait venir à sa cour un certain nombre d’artistes italiens, rénove les palais de Fontainebleau, de Blois, d’Amboise, du Louvre et bâtit celui de Saint-Germain-en-Laye et celui de Chambord. Léonard de Vinci est ainsi l’invité d’un roi moderne dans une période charnière, celle de la Renaissance.

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L’Italie après la paix de Lodi en 1494

L’histoire de l’oeuvre

Si la Joconde est aussi célèbre, c’est aussi parce que son périple en tant que pièce d’art traverse les époques. En 1503, Francesco del Giocondo, marchand de tissu florentin commande à Léonard de Vinci un portrait de sa femme, Lisa Gherardini. Madame Lisa del Giocondo (de son nom d’usage) donne donc l’appellation au tableau, en français La Joconde ou Mona Lisa, dérivé de Monna Lisa, contraction de Madonna Lisa, madame Lisa. Léonard peint ce portrait en un peu moins de 4 ans. Mais Francesco del Giocondo n’a jamais acheté la Joconde au peintre pour des raisons assez troubles. Léonard de Vinci est peut-être parti à Milan avant qu’elle ne soit achevée, ou bien le marchand n’avait pas assez d’argent pour acquérir le tableau. Quoi qu’il en soit, Léonard après de nombreux voyages, est invité en France par François Ier. Et en 1518, François Ier achète le tableau à Léonard de Vinci pour l’équivalent de (environ) 150 000 € de l’époque. Léonard meurt un an plus tard.

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Château royal de Fontainebleau, photographie de Jamie (2008)

La Joconde se retrouve au Château royal de Fontainebleau, récemment rénové par le François Ier. L’oeuvre voyage ensuite de châteaux en châteaux, suivant le plaisir des rois successifs, d’abord au Louvre et aux Tuileries, puis à Versailles à partir de 1690. Pendant la Révolution Française, en 1793, le Château de Versailles et vidé de sa collection de peintures, mais La Joconde n’est pas sélectionnée pour l’inauguration du Musée du Louvre. Elle est tout de même transférée au Louvre en 1797 et présentée en 1798. En 1801, Napoléon – alors Premier Consul de France – la place dans la Grande Galerie et en 1851, son petit-neveu, le Président de la Deuxième République, Louis-Napoléon Bonaparte l’introduit au Salon Carré (The place to be pour les oeuvres d’art).

Palais du Louvre, Photo de Shvets Anna sur Pexels.com

Mais, le mercredi 23 août 1911, coup d’éclat, le Petit Parisien annonce: Le célèbre tableau de Léonard de Vinci : « La Joconde«  a disparu du musée du Louvre. Il n’en reste rien… que le cadre. Une enquête débute alors pour retrouver le coupable. Celle-ci pointe du doigt, un autre vol, celui de statuettes. Les suspects sont le poète français Guillaume Apollinaire – qui a fait un court séjour en prison – et le peintre espagnol Pablo Picasso. Ils sont finalement éloignés de l’affaire. C’est alors que l’engouement international pour l’affaire fait de la toile volée une icône. Des copies et des cartes postales affluent dans le monde entier. À l’automne 1913, la Joconde est retrouvée par un marchand d’art près de Florence. Le réel voleur est Vincenzo Peruggia était employé du musée et a conservé la toile pendant plus d’un an sous son lit, à Paris. Perrugia justifie son crime : il voulait rendre ce qui appartient à l’Italie à l’Italie. Il accuse la France d’avoir récupéré La Joconde comme butin de guerre. Ce n’est pas le cas, comme nous l’avons vu plus tôt, c’est en fait Léonard de Vinci qui l’a personnellement vendu au roi de France.

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Vincenzo Peruggia (1911)

En 1914, la Première Guerre mondiale éclate, La Joconde est déplacée à Bordeaux et à Toulouse pour l’éloigner du front et de l’avancée de Allemands (jusqu’à 40km de Paris). De 1919 à 1939, Mona Lisa retourne au Louvre. Puis, en septembre 1939, la Seconde Guerre mondiale débute. La toile est à nouveau éloignée, d’abord au château de Chambord puis près de la sépulture de son père, au château d’Amboise. En 1940, elle est abritée anonymement de château en château et de cave en cave jusqu’au 17 juin 1945, où elle retourne à Paris. En 1962 et 1974, La Joconde a voyagé, escortée et en première classe à New-York, Tokyo et Moscou, avant de reprendre sa place au Louvre, où elle ne quitte plus sa place, à cause de la fragilité de la plaque de bois sur laquelle elle est peinte. Lisa Gherardini attire tout de même 20 000 visiteurs par jour au Louvre en 2017.

Description et analyse de l’oeuvre

La Joconde est une peinture à l’huile sur un fond en bois de peuplier – d’où sa fragilité – il s’agit d’un portrait en taille réelle de 77 cm x 53 cm. En premier, on voit le mi-corps (buste et bras) d’une femme – Lisa Gherardini – en robe verte, assise à sa loggia (sorte de balcon italien encadré par des colonnes), présentée de trois-quart, les mains croisées et fixant le spectateur (ou le peintre). En second plan, on peut remarquer un paysage de plaine, plus loin, un lac entouré par des montagnes et dans le cinquième supérieur du tableau, un ciel jaune. Les couleurs sont assez sombres, conséquence de l’altération des pigments dans le temps, cependant grâce à des techniques de révélation infrarouge, nous pouvons estimer les couleurs originales de l’oeuvre. Nous remarquons alors que des couleurs chaudes sont utilisées pour peindre Lisa et des couleurs froides pour le paysage.

Leonardo da Vinci Mona Lisa with original colors approximation
La Joconde (couleurs originales estimées), Léonard de Vinci, 1505

Pour ce qui concerne l’analyse de l’oeuvre, il est assez important de signaler que Mona Lisa est au centre de la peinture – ce qui semble tout à fait ordinaire pour un portrait – mais en plus de cela, ses yeux sont à hauteur de la ligne d’horizon. Le haut du tableau attire le regard, les mains croisées répondent au regard, tandis que le paysage dépeint par la technique du sfumato encadre et renforce l’attention portée au regard de La Jonconde. Il y a une grande impression de profondeur du paysage, l’oeil est donc plongé sur le visage de Mona Lisa, dont tout le corps se situe au premier plan. L’asymétrie de la position (trois-quart) passe presque inaperçue, puisque les distances entre le centre du tableau et les deux épaules de La Joconde sont égales. On retrouve le même type de symétrie entre l’oeil gauche et la main droite de Lisa.

Le sourire mystérieux de Mona Lisa, accentué par le clair-obscur de la peinture nous enchante et place en effet la femme au centre du portrait. L’humain est au centre du monde, on ne voit qu’elle, la lumière n’éclaire qu’elle et particulièrement son visage. La Joconde est-elle l’allégorie de l’Humanisme? L’humain, humble (mains croisées), est à la fois au centre de la Nature mais aussi profondément liée à elle (les chemins partent de la femme vers le paysage). De plus, Mona Lisa est à une loggia, donc en hauteur par rapport au paysage. L’humain doit faire le lien entre une nature sauvage (paysage de droite) et une nature dominée et harmonieuse (paysage de gauche). On peut aussi voir le sourire, le regard comme des instants brefs qui sont immortalisés. C’est un symbole de vanité, le temps qui passe, on peut d’ailleurs remarquer à côté de l’épaule gauche (donc à droite du tableau) un pont sur une rivière. L’eau qui coule sous le pont est aussi un symbole de vanité. Mais personnellement je ne crois pas qu’il s’agisse d’un symbole de tristesse ou de mélancolie. J’y vois plutôt une glorification du progrès, de la Renaissance. Le temps qui passe représente la sortie du Moyen-Âge vers un temps moderne. L’humain, aussi simple soit il, est capable de faire mieux, en harmonie avec son temps et la nature, en confiance avec lui même.

Pour le débat de l’article : La Joconde mérite-t-elle son succès ?

Note : 5 sur 5.

Sources:

« LA JOCONDE (PORTRAIT DE MONA LISA), Léonard de Vinci », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 20 novembre 2019. URL : http://www.universalis-edu.com.acces-distant.sciencespo.fr/encyclopedie/la-joconde-portrait-de-mona-lisa/

André CHASTEL, « LÉONARD DE VINCI (1452-1519) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 20 novembre 2019. URL : http://www.universalis-edu.com.acces-distant.sciencespo.fr/encyclopedie/leonard-de-vinci/

S. DRESDEN, L’Humanisme et la Renaissance, Hachette, Paris, 1967

Claire Bommelaer, « Quand La Joconde voyageait incognito »Le Figaro, 14 octobre 2009.

Vincent Delieuvin, « Les accrochages de La Joconde de 1797 à nos jours »

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